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22.11.16

Ma vie jusqu'ici


Si vous allez grimper l'Himalaya c'est mieux de ne pas commencer à Paris. Partez du pied de la montagne. On va pas s’emmerder.



Et dans la vie c'est pareil. On ne commence pas tous au même endroit. On n’a pas tous les mêmes chances de réussir.

Perso j’ai eu de la chance. Je fais parti de ceux qui sont entrés dans la vie avec de bonnes cartes en main.

Un pays riche. Libre. Une famille aisée. Sentiment d’appartenir à une classe privilégiée.

Mais dans ces cartes se cachaient aussi quelques avaries. C'était pas de leur faute. Mes parents avaient des problèmes qu'ils n'étaient pas armés pour affronter.

Ca a commencé quand j’avais 6 ans. Le début des emmerdes.

Le prof avait écrit une phrase au tableau qu’on devait déchiffrer. La phrase, c'était “cette famille est heureuse”.

Je me souviens que j'étais assis au fond de la classe à côté d’un autre garçon. Et parce que cette description semblait si loin de notre réalité, j’ai dû faire un effort considérable pour retenir les larmes qui poussaient très fort juste derrière les yeux.

Premier sentiment de tristesse. Le plus intense que j’avais connu jusque-là. Un de mes premiers souvenirs. Les mots "famille" et "heureuse" mis côte à côte m'avait révélé l'évidence. Nous n'étions pas heureux.

Mon père surtout. Pas équipé pour surmonter ce dans quoi il s'était lancé. Alors il a perdu pied. Et il nous a tous entrainé avec lui. Il s’est défoulé. Sur moi surtout. Pas trop sur mes frères et soeurs, heureusement.

Mais il ne m’a jamais frappé. C'était plutôt une entreprise de destruction psychologique. Depuis la fin de mon enfance et pendant le plus clair de mon adolescence.

Ca a pas trop mal marché.

Après quelques années j’étais devenu terrorisé à l'idée de commander un menu Big Mac. Une angoisse et un stress infernal quand je me trouvais en présence d'une autre personne. Incapable de comprendre ou même d'écouter ce qu’on me disait. Un vrai demeuré.

Effacement total de la personnalité. J’ai traversé les années comme un fantôme. Sans aucune prise sur la réalité.

Et à partir de là l’histoire de ma vie est devenue celle d’un gouffre de plus en plus difficile à traverser.

Un gouffre entre des rêves démesurés d'une part, et l'incapacité totale de les réaliser d'autre part.

Je me suis mis à rêver pour m'échapper. Parce qu’on m'avait tellement répété que j'étais un incapable.

Je me suis mis à rêver de grandeur. Et d’ailleurs. Construire des choses qui me dépassait. Des choses considérables. Assez grandes pour compenser le vertige de l'insignifiance.



Mais en même temps le manque total de confiance en moi m'empêchait d'accomplir quoi que ce soit.

On m'avait tellement répété que j'étais bon à rien... Les grandes étapes de la vie m'étaient insurmontables.

Et je me suis retrouvé coincé entre le désir de quelque chose d'exceptionnel et l'incapacité de prétendre ne serait-ce qu'à la normalité.

Alors je me défonçais tous les jours pour rendre mes rêves plus réels.

Et pour me consoler. Pour oublier le gouffre au-dessus duquel je lévitais. Pour oublier la solitude. La réalité. La peur de la réalité.

Et parce que je ne pensais pas être à la hauteur du moindre succès, je me sabotais avant même qu'il ne pointe le bout de son nez.

Du coup j’ai tout raté.

Je voyais les autres avancer et moi je restais bloqué.

Leurs études. Leurs amis. Leurs premiers jobs et leurs carrières qui prenaient forme. Mariage. Premier appart’. Enfants. J’observais tout ça comme un couillon tout seul sur le bord de la touche.

Au fil des années je me suis isolé dans le confort de la solitude. Pour éviter le regard des autres. Pour ne pas être confronté à ma propre réalité.

Et vous savez, j’ai en ai longtemps voulu à mon père. Pour être responsable de mon malaise. Pour m’avoir rendu la vie si compliquée.

Mais j'ai bien fini par me rendre compte de la vérité. Et la vérité, c'est que le seul responsable en fait, c’est moi.

Parce que c’est comme pour tout. Il y a les bonnes raisons. Et puis il y a les vraies raisons.

La bonne raison c’est que mon père a été un enculé faible et irresponsable qui m’a coupé l’herbe sous le pied et m’a empêché d'avancer.

Mais la vraie raison, c’est que je suis le seul à avoir écrit l’histoire de ce qui s’est passé.

Beaucoup de personnes vivent des choses similaires dans leur enfance. Mais personne ne réagit de la même façon.

Nous seuls choisissons ce dont on veut se rappeler. On sélectionne quels souvenirs intégrer ou non dans l’histoire qu’on veut être celle de notre vie. Et on écrit cette histoire. Pour y puiser des forces, ou pour se trouver des excuses, ou pour s'apitoyer sur son sort.

Nous sommes les seuls responsables.

Pensez-y. Combien de choses se sont passées aujourd’hui que nous aurons oubliées ce soir?

Le bâtard qui vous a fait une queue de poisson sur le chemin du bureau. La collègue qui a laissé filé un petit pet très léger, à peine audible, et qui a immédiatement lancé un coup d’oeil circulaire paniqué pour s’assurer que personne n’avait entendu. Vous avez entendu.

Mais on oublie tout ça. Et pourtant on se souvient très bien de certains événements très lointains.

C'est dingue non? On s’en souvient parce qu’on fait l’effort de s’en souvenir. Pour les intégrer à la collection d'événements qu’on imagine être la clef de notre vie.

Et peut-être qu’elle m’arrangeait bien, l’histoire que j’imaginais être celle de ma vie.

Parce qu’elle me donnait une excuse.

C’est facile pour personne de commencer dans la vie. De trouver la lutte dans laquelle on est le moins mal-à-l’aise. De trouver sa place dans le monde. Et puis on s’y fait. On se trouve un point d'ancrage. Et à partir de là on construit. On vit.

Mais moi je m'étais trouvé une bonne excuse pour ne pas entrer dans la vie. Des raisons pour m'apitoyer sur mon sort. Pour ne pas commencer le combat. Alors que tout ce qui comptait, c'était d'avancer.

Donc la vraie question n'est certainement pas de savoir quels événements ont façonné la personne que nous sommes devenue.

La vraie question, c'est de savoir lesquels de ces événements nous permettent d'écrire une histoire qui nous permette d'avancer.

Parce que c'est tout ce qui compte. Ecrire une histoire de notre vie qui nous permette d'avancer.




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