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16.2.16

Bourré dans les rues de New York


Marcher bourré dans les rues de New York a quelque chose de magique.

Alors quand mon pote Seb est venu passer une semaine ici je lui ai réservé ce qu'il y a de mieux. New York, déchirés.

Tournée des dive bars.



Les dive bars sont une institution à travers tous les Etats-Unis.

Ils n'ont rien de glamour. En fait ils sont à l'opposé du glamour. Simples et pas chers. Souvent (très) crades. C'est tout leur charme. Ils sont le ciment d'une société imbibée de bière et de whisky.

Le plan: descendre Manhattan du Nord au Sud et s'arrêter dans un dive bar tous les 10 blocks. Au moins une bière et un shot dans chaque bar. On va pas terminer frais.

Seb m'attendait au coin de 105th Street et Broadway, dans le nord de l'Upper West Side. Ca caillait donc on s'est dirigé vers notre premier spot sans trop traîner. The Abbey.

On s'installe au comptoir. Bud Light et shot de Jameson pour lui et moi.

J'aime bien The Abbey. On s'y sent bien. Tout est en bois et l'odeur du bois a quelque chose de réconfortant. Bill le barman aussi a quelque chose de réconfortant. Un type d'une soixantaine d'année. On peut tout lui raconter parce qu'il a déjà tout entendu. Barman à l'ancienne.

Seb et moi avons repris notre conversation exactement là où on l'avait laissée. Même si on ne s'était pas vus depuis plusieurs mois.

Puis on a payé un shot à Bill pour trinquer ensemble parce que le bar était désolé et qu'il avait l'air de s'emmerder. Et direction le Broadway Dive, sur 101th Street et Broadway. 5 minutes à pieds.

L'ambiance y est à l'opposé de The Abbey. C'est toujours un dive bar. Mais l'ambiance est festive. Et un peu bizarre aussi.

Il y a des couleurs vives. Des guirlandes lumineuses un peu partout. Un scaphandre debout dans un coin et des tubas derrière les bouteilles de whisky. Tout le monde est de bonne humeur. Mais on sent bien qu'en grattant un peu on ferait apparaître quelque chose de très différent.

On s'installe au comptoir. Même chose. Bud Light. Shot de Jameson. Et Seb me parle de notre enfance à Paris.

On était toujours fourré ensemble. Toujours à manigancer notre prochaine connerie.

Capturer un pigeon pour le faire s'envoler en plein cour de français.

Dérober le slip de bain dans le sac d'un type qu'on n'aimait pas et y faire un petit trou, juste assez grand pour qu'une couille en sorte devant tout le monde à la piscine, en cour d'EPS.

Toujours des pétards dans la poche pour les balancer à travers les fenêtres restées ouvertes. Des sales gosses. Une enfance heureuse. C'était bien.

Mais Seb m'a fait une révélation. Ces années d'enfance contenaient ses plus beaux souvenirs. Mais elles avaient aussi un côté très sombre.

Ses parents se disputaient beaucoup. Ca hurlait tous les jours. Ils avaient de gros soucis d'argent et n'en parlaient jamais à Seb. Mais il ressentait leur angoisse et leur tristesse dans chaque pore de sa peau. Dès son plus jeune âge.

Crises d'hystéries de la mère. Attitude soumise et angoissée du père. Qui se défoulait sur mon pote. Sans le frapper, mais en le rabaissant. En l'insultant. En lui crachant son mépris au visage. Il m'en parlait pour la première fois. Ca semblait vraiment l'affecter.

Ces années avaient été celles des joies de l'enfance mais aussi d'une certaine tristesse isolée. Souffrance solitaire d'un petit garçon mal tombé.

Et puis l'adolescence. Aigre-douce, comme son enfance. Mais amplifiée.

On a découvert les joints. Pour nous tous c'était une autre façon de se marrer.

Mais pour Seb, c'était surtout le moyen de rêver. De s'évader. De colorer sa tristesse esseulée en s'envolant vers quelque chose de différent. La poésie de l'évasion. Un grand-écart qui ne présageait rien de bon.

J'avais toujours suspecté qu'il y avait quelque chose de trouble en lui. Sans jamais vraiment mettre le doigt dessus. Ben voilà.

Il était temps de se changer les idées.

Troisième bar: Dive Bar (sur 95th Street). Guinness. Shot de Macallan. Ces deux-là nous ont fait partir. Et j'ai retrouvé le Seb que je connaissais.



Marrant et jovial. Le type que tout le monde aime d'emblée. Le souvenir de son enfance lui donnait des ailes.

Il a payé sa tournée à une bande d'alcoolo ravis et puis direction Jacob's Pickles, sur 85th Street. Pas du tout un dive bar. Mais on y trouverait des filles.

Et là ça jacassait. On s'asseoit à côté de deux filles au comptoir. Le courant passe vite. Jess. Liz.

Elles étaient toutes les deux bien amochées et je leur ai expliqué notre dive bar tour. Elles ont tout-de-suite voulu nous suivre.

On a terminé nos bières et avons marché jusqu'à Dive 75.

Shot pour tout le monde. Les deux filles étaient déchaînées. Elles dansaient ensemble sur le Classic Rock du bar en nous jetant des regards sans équivoque.

Seb a attrapé la plus jolie par la hanche pour l'embrasser en lui glissant une main entre les cuisses. Second shot pour tout le monde.

Il caresse la cuisse de la seconde. La première fait le tour et m'embrasse dans le cou. Je me retrouve avec sa langue dans la bouche. Et puis une des poules hurle "NEXT!!!".

Direction McCoy's dans Hell's Kitchen. C'est là que tout a dégénéré.

Je ne sais plus laquelle des deux filles me pressait la bite à travers le pantalon. Seb doigtait l'autre sous le comptoir.  Elle était assise sur un tabouret et sa jupe lui remontait le long des cuisses. Longues jambes fines. Légèrement bronzées. On a descendu nos bières et sommes tous sortis du bar.

Les deux filles marchaient devant nous. De travers. Elles tenaient à peine sur leur talons-hauts et menaçaient de s'écrouler à tout instant.

Leurs jambes étaient fines. Leurs jupes courtes. Je me disais qu'elles n'étaient vraiment pas mal. Quand tout-à-coup l'une des deux s'est mise à dégueuler en plein sur le trottoir. L'autre la regardait, petrifiée. Et puis elle a fait pareil.

On se retrouvait Seb et moi avec ces deux filles très sexy qui vomissaient leurs entrailles en plein quartier gay de Manhattan. C'était inattendu. Et Seb s'est mis à hurler de rire.

C'était contagieux.

Nous nous sommes retrouvé pliés en deux tous les quatre. Seb et moi pris de fou rire. Les deux malheureuses pour ne pas trop se gerber dessus.

Puis l'une d'elles a levé vers nous des yeux plein de rage. Elle n'était pas contente. Du dégueuli lui coulait sur le menton. GET THE FUCK OUTTA HERE YOU FUCKING FRENCH FUCKS!!!

C'est vrai que c'était pas sympa alors j'ai essayé de me ressaisir pendant que Seb se tordait de rire. 'You're sure you're ok?'

GO THE FUCK AWAY!!!!

Et elle nous a balancé son talon-haut alors qu'on avait déjà le dos tourné. Version New Yorkaise de la babouche marocaine.

La soirée n'était pas finie. On a arrêté un taxi. Direction 23rd Street. Live Bait.

PBR. Shot de Jameson. La serveuse derrière le bar avait des seins considérables. Seb tente une approche. Ça a l'air de marcher. Lui demande son numéro. Se fait refouler. NEXT!!

Old Town sur 18th Street. Un des tous premiers bars de New York. Un des plus sympas aussi. Blindé de monde. Bière. Bière. Shots. Next.

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Et enfin McSorleys. The one and only. L'endroit où l'on va pour boire comme des Irlandais en chantant comme des supporters survoltés.

C'est pas très grand mais vous avez l'impression d'être dans un stade de rugby. Et quand vous en sortez vous vous surprenez à trouver les rues de New York calmes et silencieuses.

On a bu deux bières mais surtout on a mangé. Ham sandwiches. Burgers. Frites. C'était délicieux. On était affamé. Et complètement déchirés.

Et puis en sortant Seb m'a fait une seconde révélation. Quelque chose dont je n'avais pas non-plus la moindre idée.

Ca faisait maintenant presque deux ans qu'il avait arrêté. Mais en sortant de l'adolescence il ne s'était pas contenté de continuer à fumer des joints. Il avait pris d'autres trucs. Des trucs très forts. Des trucs qui vous font tout oublier mais qui finissent généralement par vous tuer. Junkie des beaux quartiers.

En fait, il était resté toute sa vie le petit garçon dont le coeur avait trempé trop tôt dans l'angoisse et la tristesse de ses parents. C'était inscrit tout au fond de lui. Depuis le début.

Et puis son père. Abusif. Personnalité brisée. Difficulté à croire en soi. Impossibilité de se développer.

Alors il s'est mis à rêver. Des rêves grandioses. C'était le moyen de s'échapper. Un grand-écart entre désirs démesurés et une réalité qui lui dérobait toute possibilité d'avancer. Un grand-écart beaucoup trop grand pour être refermé.

Et bien sûr sa réalité s'est aggravée au fil des années. Parce qu'il refusait de la confronter. Il ne faisait que rêver.

L'enfant souvent triste est devenu un adolescent qui se défoncait pour espérer. Et finalement un adulte qui n'arrivait à rien.

Son grand-écart était l'histoire de sa vie. Et sa vie était une impasse. Jusqu'à ce qu'il se rende compte de quelque chose qui a tout changé.

Le bonheur n'est ni dans les espoirs et les rêves qu'on fabrique pour s'échapper, ni dans la réalité, parfois triste et qui se termine mal pour tout le monde.

Le bonheur se situe quelque part entre les deux.

Quelque part dans l'espace qui sépare les étoiles. Dans le silence entre les notes. Quelque part entre l'acceptation froide de sa réalité et ce que l'on met en oeuvre pour l'améliorer.

Il fallait prendre sa vie de face, pour ce qu'elle est vraiment. Rester debout contre le vent. Et Seb a décidé de tout arrêter. Et de commencer à vivre pour de bon.

Son histoire m'a faite penser à ma semaine passée à Burning Man. Ce festival au milieu du désert. Au terme duquel tout brûle. Une semaine, et rien ne reste.

Vous savez dès le début que tout finira par partir en fumée. Que tout ce que vous voyez est éphémère. Que tout va disparaître.

Alors votre instinct est de donner du poids à cette réalité trop fragile. De lui donner du poids en la remplissant de vie. D'extraire de chaque seconde autant de vie que vous le pouvez. L'intensité de l'expérience en devient considérable.

Et si la vie a un sens c'est peut-être ça. Avoir toujours conscience qu'elle finira par partir en fumée. Pour profiter de chaque instant. Et pour en faire ce que l'on veut vraiment.


'If you believe in yourself
You can free your soul'




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