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1.4.15

Cracher son foutre


J'étais tranquillement en train de bouffer ma salade dans un resto français quand quelque chose m'a arraché l'oreille.

Deux connards étaient assis juste à-côté de moi au bar. Ils étaient en pleine discussion.

Deux Mikes comme je les appelle. Comprenez: le beauf Ricain comme vous l'imaginez. Un peu gros. Pas très beau. Pas forcément très malin. Et qui parle trop fort.

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Mais ici on avait affaire à deux beaufs version New York.

C'est-à-dire qu'ils jouaient aux types qui en savent un peu plus que les autres. Ils feignaient le succès. Se donnaient des airs à être impliqué dans des choses d'importance.

En l'occurrence ils prétendaient travailler 'à Wall Street'. Ce qui dans leur cas signifiait qu'ils passaient leurs journées à boursicoter chez eux, en caleçon devant l'ordi. A essayer de grapiller les miettes que les pros refusent même de leur laisser. A dollar is a dollar bitch.

A New York ces types-là on les remarque aussi vite qu'une pute du Bois de Boulogne cachée derrière son arbre. They were fronting comme on dit. Ils se la racontaient. Mais tout ce qu'ils disaient sonnait faux.

Et moi je n'avais d'autre choix que de les écouter en bouffant ma salade, et pour tout vous dire ces deux couillons commençaient un peu à m'énerver.

Et puis ils se sont mis à draguer la serveuse derrière le comptoir.

Ils se prenaient un vent après l'autre. Mais ils savaient bien qu'elle voulait son pourboire alors ils se permettaient d'être lourds. De revenir à la charge. Un vent après l'autre. Là où toutes les autres filles les aurait calmé direct. C'était lâche de leur part et mes coups de fourchette ressemblaient de plus en plus à des coups de poignards.

Alors comme on était dans un resto français ils se sont ensuite mis à parler de la France.

A raconter leurs histoires de touristes à la con. Et c'était exactement ce que vous imaginez.

Le beauf Ricain à l'étranger dans toute sa splendeur. Auquel le monde entier doit s'adapter parce que 'America's number 1'. Qui visite un pays surtout pour le critiquer et le comparer au sien.

Enfin. Faut dire que les touristes Français à New York c'est pas tellement mieux. Mais des Ricains de cette race on n'en rencontre presque jamais à New York. Ca fait tâche comme on dit.

Après avoir dit à quel point Paris était gorgeous ils n'ont pas s'en empêcher.

'Don't these people understand English??'

Avant d'embrayer sur le devenu classique 'France has a huge problem with Algerians' - comprenez 'les Arabes'. 'It's not so safe anymore, with these no-go zones and all. These people are way too liberal'.

Etc., etc. Des Républicains au cerveau abreuvé de Fox News comme on n'en rencontre pas trop à New York. Des transplants qui ramènent en ville toute la connerie de leur campagne.

Bref. Ils attaquaient mon dernier nerf - et je ne suis généralement pas un garçon nerveux.

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Alors je sais bien que j'ai souvent été le premier à critiquer l'esprit français. Mais figurez-vous qu'à force d'en être éloigné j'y deviendrais presque attaché.

Et après tout c'est vrai. La France c'est notre beau merdier à tous. Donc quand elle est critiquée de l'extérieur par deux crétins qui n'y comprennent rien ça vous chatouille un peu.

J'étais donc sur le point de changer de place plutôt que de leur arracher la jugulaire avec les dents quand l'un d'eux a sorti la remarque qui m'a achevée.

Le plus couillon des deux était célibataire. L'autre était marié à une Française.

Et le premier dit au second 'Tu sais, il pourrait avoir un passeport français ton fils, ça pourrait être pas mal s'il voulait aller étudier la-bas, gratos. Bon, nobody wants a French kid mais tu me comprends..'

C'était pas pour plaisanter. Le type était très sérieux.

Alors il regarde autour de lui parce que cet abruti était quand même en train de se rendre compte qu'il était dans un resto français.

Son regard tombe dans le mien. On se fixe pendant quelques secondes. Et je lui dis:

'Every single girl in this city dreams of having a french kid you asshole. None of whom you can fuck.'

S'en ait suivi une légère altercation qui nous a tous les trois conduit à la porte.

Alors c'est vrai que les Ricains nous charient beaucoup. C'est pas forcément méchant, et franchement c'est un peu de notre faute aussi.

Par exemple quand le frère de ma copine passe nous voir à New York il nous fait toujours faire le tour des bars irlandais pour descendre des shots de Jameson.

image Jameson


Ou quand on va le voir dans son coin perdu il m'emmène systématiquement tirer au .460 Magnum. Parce que c'est un bon gars du Midwest qui a besoin de se rassurer. De se dire que sa soeur n'est pas forcément avec "un pédé de Français".

C'est comme ça. Pour eux le Français va à la salle de sport "pour s'affiner". Il passe son temps à se lamenter sur sa misérable existence. A part quand il s'habille en fluo le weekend pour aller se déhancher sur de l'électro (qui s'appelle de 'l'eurotrash' aux U.S.).

Ils nous voient aussi comme un peuple qui se prend très au sérieux, mais que personne d'autre au monde ne prend au sérieux.

Comme des êtres fragiles et délicats. Des individus sensibles qui bouffent de la salade au déjeuner par exemple. Une nation dont les plus grands sportifs se tordent de douleur à la première pichenette.

C'est pas forcément méchant. C'est juste qu'on les fait marrer.

Mais je vais vous dire franchement. Le fond du problème est ailleurs.

Le vrai problème, c'est qu'on leur pique toutes leurs poules et que ça les rend jaloux. Je suis sérieux. Et je vous parle en connaissance de cause.

Ils ne font pas le poids parce qu'elles nous adorent. Ou du moins elles adorent ce qu'elles s'imaginent voir en nous.

Notre accent les fait craquer. Notre style est toujours très raffiné par rapport à celui d'une paire de Mikes. Et quand on leur tient la porte plutôt que de la leur claquer à la gueule elles se sentent comme des reines.

Et au pieux, eh ben vous savez quoi, on a la réputation d'assurer. De vraiment assurer. C'est-à-dire de prendre le temps de bien les défoncer là où Mike se précipite de vite cracher son foutre.

Alors c'est vrai que nous Français sommes parfois ridicules. C'est indéniable et je ne vais pas le nier.

Mais quand on en vient à l'essentiel, laissons les New Yorkaises choisir. Ok? Parce qu'au final, leur avis, c'est le seul qui compte.


'Your southern can is mine'
-- The White Stripes - Your Southern Can is Mine

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