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2.6.14

Difficultés d'un demeuré


Hier matin j'avais la tête bien mise au fond du cul.  Comme d'hab'.  Je suis pas du matin.

Je me trainais vers le frigo en me cognant dans tous les coins.  Objectif: la bouteille de lait.  La machine à café recrachait sa diarrhée caféinée.

Je saisis le lait.  Le reniffle.  Juste pour être sûr.  Il empeste.  Je le remets dans le frigo.

Dans quelques jours je le reniflerai à nouveau.  Je le sais.  Et je passerai une autre journée avec cette odeur de pourriture dans le nez.




Il y a vraiment deux personnes en moi.  Deux crétins.  Celui qui remet le lait dans le frigo, et celui qui le reniffle une semaine après.

Ma vie n'est pas facile vous savez.  Je suis challenged comme ils disent.  Quand j'étais petit tous les adultes me disaient que j'étais "empoté".  "Qu'il est empoté celui-là!".  A force d'entendre ce mot j'ai fini par en chercher la définition.  Et en effet, j'étais empoté.

J'ai dû apprendre très tôt à connaître mes limites.  Trouver un moyen de les contourner.  C'était ma seule chance de m'en sortir.

Les efforts qu'il a fallu déployer pour me dépétrer de ma condition de demeuré...  Et j'en suis encore à reniffler mon lait périmé.  Vous imaginez.

Mais si ma vie n'est pas facile j'essaye au moins de me la simplifier un peu.  J'en connais qui se la compliquent beaucoup.

Une fille avec laquelle j'ai vécu en France par exemple.

Vivre avec une autre personne est parfois merveilleux.  Parce qu'il arrive qu'elle vous laisse entrevoir le fond de son âme.  Voir tout au fond de son coeur.

C'est dans un de ces moments de complicité assurée qu'elle m'a lancé:

"La vie est tellement dure!  Tellement dure...  C'est impossible de la vivre seul".

Je sais pas.

Sûrement une question de perspective.  Certains survivent aux pires atrocités.  D'autres sont emportés par une petite peine.  Cette fille avait tout pour elle.

Mais après tout pourquoi pas.  Les sensibilités sont différentes.  Chacun sa vie.

Et très franchement je la comprenais.  Parce que j'ai moi-même été un angoissé.  Un vrai.  Un type qui s'attend toujours au pire, dans une stupeur qui paralyse.

Vivre ainsi est impossible.  C'est adolescent que je me suis trouvé une solution.  Une sorte de révélation.

Je m'en fous.



Je me fous des risques et des conséquences.  Parce que la peur du risque rend la vie insipide.  Je me fous des risques et je vis à fond.

Alors je construis.  Je voyage.  J'expérimente.  Souvent ça va trop loin.  Mais c'est toujours excitant.

Je n'ai pas le choix.  Je dois vivre ainsi.  Parce que sinon je ne vivrais pas du tout.

Et laissez-moi vous dire.  Ce sont les choses dont j'ai été le plus terrifié qui m'ont le plus apporté.  Un angoissé au dernier degré vous le dit.

Mais ce n'est pas toujours facile.

Vivre ainsi implique de faire des erreurs.  J'en ai fait par milliers.  Vivre ainsi suppose de se mettre dans des situations "dangereuses".  Les seules qui vaillent vraiment la peine.

Souvent aussi, ça implique de vivre seul.  Ca a longtemps été le cas.  Ca le sera sûrement encore.  Mais c'est pas grave.

Parce que la vie est tellement belle.  Intrinsèquement belle.  Est-ce que vous vous rendez compte à quel point?

C'est facile à oublier quand on s'empêtre dans les emmerdes du quotidien.  Je sais.  Mais sentez cette vie.  Sentez-la vibrer.  Dans la rue.  Dans les bars.  En vous.  Partout.

Sentez ces hormones qui s'échappent de sous les jupes des filles.  Sentez-les comme vous sentez l'éléctricité avant l'orage.  Sentez ces sentiments aussi.  Ces joies.  Ces envies.  La profondeur de la tristesse parfois.

La vie est une bénédiction.  Une exception.  Une exception dans l'espace et dans le temps.

Il a quand même fallu attendre des milliards d'années avant de la voir surgir, comme ça, en plein trou du cul du cosmos.  C'est un joyau venu de nulle part.  Alors sentez-la.  Elle remplit le néant qui nous entoure, et qui nous attend.

C'est pas pour tous nous déprimer hein.  Au contraire.  Les échecs, les petits soucis, les froissures de l'égo, tout ça ne pèse rien à côté de cette merveille qu'est la vie.

Comme vous sûrement j'ai vécu des moments difficiles.  Au point de ne pas pouvoir sortir du lit.  Paralysé par la peur.  Angoissé par la menace des lendemains.  Ces moments m'ont volé une année après l'autre.  Je les ai laissé faire.  Ca aura été ma pire erreur.

Bien pire que celles que j'ai commises par la suite, en ignorant les risques.

Parce que quand la vie vibre en vous, ces risques, ces peurs et ces tristesses, VOUS NE LES SENTEZ MEME PAS.  Ils rejoignent d'eux-mêmes le néant auquel ils appartiennent.


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"I beg to dream and differ from the hollow lies"

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