Hier soir je suis tombé sur cette affiche en marchant sur West 4th Street:
Tiens. Ca m'a fait penser à ce que disait la douce Amy.
Amy a été élevée pour être chanteuse d'opéra. Elle a grandi à New York et a étudié l'art toute sa vie. Plongée depuis toute petite dans la littérature, la peinture, la danse et la musique bien sûr. Toute sa famille est artiste.
Enfin. Pas vraiment toute sa famille. Les femmes surtout. Parce que les hommes de la génération précédente étaient avocats. Tous. Fallait pas trop les faire chier. Mais depuis ils ont compris qu'un avocat s'emmerdait et qu'un artiste s'amusait et ils sont tous devenus artistes.
Certains jouent dans des groupes. D'autres dans des films ou des séries. D'autres encore écrivent. Parfois avec pas mal de succès je dois dire.
Bref. Amy. L'art. Elle connaît.
Sa culture et sa sensibilité lui font comprendre des choses dont je suis à des années-lumière.
L'année dernière on passait devant une sculpture de Jeff Koons installée dans la rue. C'était dans le Financial District, juste en bas de chez Moody's.
Je regardais ce truc en lui disant à quel point je n'aimais pas ses lapins gonflables géants. Un truc joli tout au plus. Et encore, franchement. Mais elle m'a expliqué. Et depuis ça me plaît. Ce truc en coeur aussi.
Et puis je vais vous dire autre chose. Amy est très chatouilleuse quand il s'agit d'art. Un sujet sensible.
On avait été voir IAM à Summerstage l'été dernier.
En bonne New Yorkaise elle adore le hiphop. Autant que l'opéra. Elle était curieuse et même un peu excitée à l'idée de voir rapper des Frenchies. Ca l'amusait.
Mais à peine entrait-on dans le groove marseillais qu'Amy m'a dit avoir l'impression de se faire violer par les deux oreilles.
Apparemment les "bad boys de Marseille" ne rappaient pas en rythme. On est parti juste à temps. Juste avant que son exaspération ne nous ruine tout le reste de la soirée.
Pareil pour un concert classique. Un magnifique concert dont mon cerveau intoxiqué se délectait, dans le charme d'une vieille église sur Amsterdam Avenue.
Elle a tenu dix minutes.
Elle connaissait le morceau. Ils étaient en train de le massacrer. On a du partir. Encore. Et des histoires comme ça j'en ai des tonnes.
Alors un jour je lui ai posé LA question. Toi qui est si pointue. Dis-moi. C'est quoi "l'art"?
On roulait tranquillement sur une autoroute de Floride. Il faisait beau. On venait de se baigner dans l'océan. Le moment idéal pour aborder les sujets qui fâchent. Juste après j'avais prévu de lui annoncer que je passerai la fin de l'été à Burning Man.
Alors c'est quoi l'art? C'est les livres. Les tableaux. La musique. Les sculptures. Ok. Mais c'est tout?
Amy me dit que ça va au-delà.
Pour elle la branche d'entrée d'autoroute qu'on venait de prendre était de l'art. Toute création humaine qui suscite une émotion est artistique. Même une autoroute. Je me suis demandé si elle se foutait de ma gueule. Elle avait l'air assez sérieuse.
Elle m'a expliqué que bien sûr l'art est un business. Mais que l'opposé aussi est vrai. Le business, c'est de l'art.
Pas le produit hein. Des croquettes pour chien n'ont pas vraiment de valeur artistique. Mais l'entreprise, si. Le fait de créer quelque chose qui intéragit avec le monde, comme ça, à partir de rien.
Elle m'a dit que moi-aussi, du coup, j'étais un peu artiste. Ca m'a fait plaisir. Parce que je sais la valeur qu'elle accorde à ces mots. Le soleil lui tapait dans l'oeil vert. Elle était belle. C'était parfait.
Donc pour Amy une entreprise qui marche bien est une oeuvre d'art. Une entreprise qui ne marche pas ne l'est pas. Parce qu'elle n'est pas légitime.
Facebook par exemple.
Ils ont inventé un truc que des milliards de gens utilisent. Ils s'insèrent dans la façon dont tourne le monde en y captant des milliards de dollars. Tout ça à partir de rien. Une création pure.
J'aime pas Facebook. Mais c'est une oeuvre d'art.
Par contre si demain plus personne n'utilise cette saloperie alors ce ne sera plus une oeuvre d'art. Pas plus qu'un tableau qui aurait brûlé.
Pourtant avec le business ça va plus loin: c'est le marché qui définit la nature artistique d'une entreprise.
Personne ne vous dira que Van Gogh n'est devenu artiste qu'une fois que ses tableaux ont commencé à intéresser les gens. C'est-à-dire après sa mort.
Il y a des artistes maudits dont le génie n'est reconnu que très tard. Ils n'en sont pas moins artistes. Dans le business ça n'existe pas. C'est maintenant que ça se passe. Le monde n'attend pas.
Enfin. Tout ça pour vous dire que désormais je vois Amy partout. Même dans les affiches. Mais plus jamais en vrai.
"And I ain't too strong babe, I just miss you so
I'll keep working my way back to you, babe
With a burning love inside"
Tweet
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire