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4.3.14

Première journée à New York


Un ami d'ami que je ne connaissais pas, Arnaud, s'était proposé de m'héberger à New York.  Le temps d'y trouver mon premier appartement.

Il vivait dans un petit deux-pièces à Bushwick.  En plein milieu de Brooklyn.  C'était il y a presque cinq ans.




Arnaud, qui bossait sur des chantiers, occupait la chambre.  Son collocataire, Chris, dormait sur le canapé.

On m'a donc proposé un matelas au pied du lit d'Arnaud.  Très généreux de leur part.  J'étais ravi d'avoir un endroit où dormir à l'oeil le temps de m'installer.

Je sonne à l'appartement et seul Chris était présent.  La petite vingtaine.  Une crète noire sur la tête.  Il chantait dans un groupe de punk local et travaillait dans une librairie pour payer le petit loyer de son petit canapé.

Il me dit que son salaire est misérable mais qu'il lui convient très bien.

Chris refusait de posséder une télé, un ordinateur ou même un téléphone.  Il ne sortait pas.  Il ne se droguait pas.  Ses besoins financiers étaient ceux d'un ermite.  Mais c'était un gros lecteur et la librairie le laissait emprunter autant de livres qu'il le souhaitait.  C'était parfait.  Chris était heureux.

Ses ouvrages de philo s'entassaient au pied de son canapé.  Des livres dont les titres me disaient vaguement quelque chose.  J'avais passé mon année de terminale à faire semblant de les lire.

Il m'a tout-de-suite plu.  J'ai essayé de rester en contact avec lui, mais sans téléphone c'était compliqué.  Enfin.  J'espère qu'il va bien.  Je n'en sais rien.

Il me parlait de la Constitution Européenne avec passion quand Arnaud est rentré du boulot.  Je le rencontrais pour la première fois.

Arnaud était gigantesque.  Il mesurait bien deux mètres.  Un garçon timide et très gentil.

Sa situation aux U.S. était celle de beaucoup d'étrangers: il n'avait pas de visa.  S'il quittait les U.S., il ne pourrait jamais y retourner.  Des années qu'il était coincé.  Qu'il n'avait vu ni la France ni sa famille.  Il était au bout du rouleau.

Mais il s'est montré très chalheureux dès mon arrivée.  Arnaud m'a vraiment mis à l'aise.   Peut-être un peu trop.  Vous allez comprendre.

Le lendemain matin je me réveillais doucement.  Encore perdu dans mes rêves, je ne réalisais pas que j'étais dans un lit qui n'était pas le mien.  Au pied de celui d'Arnaud.  Et j'ai lâché un pet considérable.  Sec et prolongé.  Immédiatement propulsé dans l'Histoire.




Tout l'immeuble a dû être réveillé en sursaut mais mon hôte a eu l'élégance de feindre le sommeil.  J'aurais aimé faire preuve d'autant de goût.  Et de délicatesse.  Mon arrivée fut fracassante.

Brooklyn venait de trembler sous une secousse dont l'épicentre se trouvait entre mes fesses, mais bizarrement j'ai jugé important de marcher sur la pointe des pieds pour sortir de l'appartement.  Allez savoir.

Ainsi commençait ma première journée à New York.  Et j'avais du pain sur la planche.  Cinq appartements à visiter en une journée.  Direction Manhattan, un peu embêté mais le ventre léger.

Je me suis tourné vers des collocations parce que j'étais fauché.  Le premier appartement était dans l'Upper West Side.  Occupé par un sculpteur qui avait une chambre à louer.

L'appartement était très sombre.  Tous les rideaux étaient tirés.  Le type s'appelait Linus.  Et Linus était louche.

Le regard fuyant.

Une odeur répugnante.

Le cheveux dégueulasse.

Il me fait le tour du propriétaire en peignoir et son antre était jonchée de bites en forme de nez. Ses sculptures.  Ses oeuvres.  Par centaines.  Je n'ai pas loué son talent.  Ni son appartement.  A plus Linus.

Les trois logements qui ont suivi étaient minuscules et habités par d'adorables petites vieilles.  Surtout en quête de compagnie.  Je commençais à désespérer.

Cette opération indispensable à mon installation se révélait beaucoup plus compliquée que prévu.  Je ne voulais pas risquer le viol sous les somnifères de Linus.  Ni accompagner ces charmantes femmes vers leur dernière demeure.  Il me restait une visite.  La dernière.  Tout n'était pas perdu.

L'appartement se trouvait dans l'Upper West Side.  Mon doigt tremblait en poussant le bouton de la sonnette.  C'était ma dernière chance.  Un type de 24 ans et sa soeur aînée ouvrent la porte.

On discute quelques minutes dans la cuisine.  La fille, très belle, est chanteuse d'opéra.  Son frère est acteur de théatre.  Les deux sont nés à New York.  Ils sont artistes et je viens d'une famille d'artistes.  Le courant passe.  L'appartement est gigantesque.  C'est parfait.  Plus que parfait.  Il me le faut.

Je leur propose de signer le bail sur le champ.  Ils refusent gentiment, en me disant que d'autres visites étaient prévues.  J'aurais tout donné pour qu'ils m'acceptent comme collocataire.  Même pour trois mois.  Je n'avais pas d'autre choix.

Le texto fatidique est tombé au bout de trois jours: la soeur et son frère seraient ravis de m'accueillir.

J'allais passer dans cet appartement les deux plus belles années de ma vie.

Et aimer cette chanteuse comme jamais je n'ai aimé.


Where Did Our Love Go by Diana Ross & The Supremes on Grooveshark
"Ooh, baby, baby 
Where did our love go?"

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