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17.11.15

Les bicycle messengers


Je ne vais pas vous parler de ce qu'il s'est passé.

Déjà parce que je n'ai pas grand chose à ajouter à ce qui est dit.

Mais surtout parce qu'exprimer ici ce que je ressens aurait quelque chose d'indécent. On s'en fout. Je suis en vie et vous aussi. Ceux qui ne le sont plus ont vécu quelque chose à côté de quoi l'expression de notre effroi est insignifiant.

Alors je ne vais pas faire comme la dernière fois et je vais vous parler de tout autre chose. De quelque chose de léger. Après tout, c'est peut-être aussi de ça dont on a besoin.

Je vais vous parler des bicycle messengers. Ces types qui passent la journée à pédaler à fond sur leur fixee à travers tout Manhattan. Ils font partie de ces trucs fun et un peu bizarres de New York.




Déjà leur look est toujours extrême.

Il y a le rasta qu'on croirait tout-droit descendu de sa colline de Jamaïque.

Le métalleux aux piercings partout sur le visage et tatoué sur chaque centimètre carré de peau (de peau visible en tous cas).

Et puis bien sûr le cycliste pur jus avec son équipement fluo-moulant. Vous en voyez chaque été sur le Tour de France et chaque dimanche autour de l'hippodrome de Longchamp. Vous savez de quoi je parle.

Mais peu importe leur style ils ont tous en commun le fait d'aller vite. Vraiment très vite.

Et toujours avec de la musique à fond dans leurs mini-speakers (ils ont tous le même modèle, je sais pas pourquoi).

Vous pouvez deviner le style du bicycle messenger qui approche en tendant l'oreille. Si du reggae joue au loin vous verrez une touffe de dreadlocks vous passer très vite sous les yeux dans les secondes qui suivent. Presque à tous les coups.

Et un autre truc qu'ils ont en commun est le fait de chanter à tue tête en pédalant.

Parce qu'ils sont tous défoncés et que ça leur donne envie de chanter. Il faut beaucoup d'énergie pour pédaler à fond toute la journée vous savez. Une aide chimique est bienvenue. Surtout dans le vélo. C'est pas un mystère.

Un autre truc de marrant avec les bicycle messengers: vous repérez tout-de-suite ceux qui livrent de l'herbe. Ce sont les seuls dont le sac est fermé avec un cadenas.

Leur logique: si un flic les arrête et demande à fouiller leur sac ils disent qu'ils ne connaissent pas le code du cadenas. Le flic doit défoncer le cadenas pour ouvrir le sac. Et ça, le flic n'a pas le droit de le faire. Invasion of private property. C'est du moins ce qu'ils croient. Je sais pas.

Enfin.

Tout ça pour vous dire que j'ai longtemps vécu comme un bicycle messenger.

Je fonçais à travers les années. Complètement défoncé. Incapable de voir au-delà du prochain virage.

Je faisais tout pour ne pas penser à l'avenir parce qu'il me terrifiait.

Alors je faisais en sorte d'être heureux dans le présent. Mais seulement en me défonçant souvent. Sans me donner le moindre mal. Je ne construisais rien. Je me contentais de me sentir bien, confortablement installé au fond de mon divan chimique.

Et d'un coup dix ans avaient passé.

Parce que c'est le problème quand on vit sans but. Les années perdent de leur densité. Et la vie passe très vite.

Il faut s'occuper pour ne pas laisser le temps filer. Construire. Etre actif. Excité. Passionné. Et ne jamais abandonner ou avoir peur de se planter, par fierté. Sinon on a déjà commencé à mourir.

Peut-être que c'est pour ça que les humains ont cette obsession d'avancer toujours plus loin.

Pour ne pas se laisser ronger par l'angoisse qu'une année de plus est aussi une année de moins.

Pour retenir un peu les années. En les faisant compter. Parce que les années, on ne sait jamais combien il en reste. Tout peut s'arrêter d'un coup. Comme ça. Sans prévenir.

Alors ne les laissons jamais nous glisser entre les mains.



"I missed my mark by a thousand miles
Ooh pride, ooh pride"




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