"Le pire quand t'es fauché, c'est que tu peux même pas aller te consoler au bar, devant une bonne bière".
C'est ce que Max m'a sorti le weekend dernier. Il n'est pas au top. Le bougre traverse une période difficile.
On marchait dans l'Upper West Side avec Arnaud, un autre pote français. Et Max a commencé à se livrer. Il nous racontait que ses périodes de déprime se passent toujours de la même façon.
Tout commence par des problèmes d'argent. A cause de ces problèmes d'argent, il s'angoisse pour son avenir. Et comme il est angoissé il se masturbe. Beaucoup.
"Jusqu'à cinq fois par jour. Cest compulsif. Quand ça va pas je me branle comme je fais craquer mes doigts.
Parfois j'y réfléchis même pas. Je suis dans ma cuisine et tout-à-coup paf, je réalise que je suis en train de m'astiquer".
Ca nous a bien fait marrer mais Max n'était pas d'humeur à rigoler. Il continue:
"Et vous savez quoi aussi? Quand je suis fauché je me déteste. Tellement que je fais tout pour me faire humilier.
Alors j'appelle des filles avec lesquelles j'ai couché et jamais rappelé. Je les supplie de me revoir. Elles me rient toutes au nez. Elles me traitent de loser. De raté. De 'asshole'. Elles m'insultent et ça me fait jouir en deux secondes putain."
Max nous explique aussi que quand il n'est pas en pleine scéance de masturbation frénétique, il passe son temps à ressasser le passé. Il pense à ce qu'il aurait pû faire différemment. Les opportunités qu'il a manquées. Celles qui ont fait de sa vie ce qu'elle est aujourd'hui.
Max et Arnaud sont mes seuls potes français à New York. Max y est arrivé il y a cinq ans, pour faire carrière dans la musique. Et c'est un très bon musicien. Vraiment. Il vous donne la chair de poule dès qu'il touche une guitare. Il est aussi barman quelques soirs par semaine pour payer les factures.
Il continue sa complainte:
"Mais vous savez quoi? Le pire c'est pas d'être fauché. Je peux bouffer des pâtes tous les jours et je trouve toujours un moyen ou un autre de payer mon loyer. Non. Le pire, c'est de perdre espoir".
Cinq ans qu'il galère pour se faire signer. Cinq ans qu'il attend de voir sa carrière décoller. Qu'il se trimballe entre espoirs et déceptions. Qu'il perd progressivement tout espoir. Et aujourd'hui il est au fond.
J'aime beaucoup Max, on se connait "depuis toujours", et ça me fait de la peine de le voir ainsi.
C'est très facile de se laisser envahir par les emmerdes du quotidien. Et par la peur de l'avenir. Mais c'est quand les deux se rejoignent qu'on se retrouve dans une impasse.
Quand ça va vraiment pas j'essaye de prendre du recul. Je me force à considérer ma vie dans son ensemble pour me rendre compte qu'au final, c'est pas si mal. C'est ce que j'ai essayé de suggérer à Max.
"Je sais que c'est pas facile pour toi mais franchement t'es pas si malheureux.
Tu vis dans une ville qui t'as toujours fait rêver.
Ta famille te déteste mais quelques-uns de tes amis sont très attachés à toi.
Tu te drogues avec une vraie modération.
Et entre tes concerts et ton activité de barman tu niques quand même les plus belles. Plus qu'Arnaud et moi réunis. Beaucoup n'ont rien de tout ça. T'es pas si mal mon pote."
Il me regarde, perplexe. Puis me dit:
"Je sais bien tout ça. Mais regarde à quel point je me galère! Je fais rien de ma vie. Rien. J'ai des rêves. Je me démène pour les réaliser. Mais rien ne s'est jamais passé pour moi."
Je ne savais plus quoi lui dire.
On traversait maintenant Amsterdam Avenue. La rue était fermée parce qu'une fête dominicaine (ou puerto-ricaine, je sais pas) avait lieu. Un groupe de merengué jouait à fond. Tout le monde dansait. Riait. S'amusait.
C'est alors qu'Arnaud, qui n'avait pas dit un mot, a trouvé les bons. Il s'est tourné vers Max et lui a dit, en montrant la fiesta latina:
"Regarde autour de toi. La plupart de ces gens vivent dans la pauvreté. Pas une thune. Aucun espoir que ça s'améliore. Ils t'ont l'air malheureux?
Ces gens respirent le bonheur, mais pas comme un trader qui vient de se mettre un million dans la poche sur un bon coup. Ou comme une rockstar qui termine un concert en se faisant acclamer par des milliers d'adolescentes à la culotte inondée.
Non, ils sont heureux de la forme la plus pure de bonheur. Ils sont heureux parce qu'ils aiment la vie. Tout simplement.
Et toi t'es là à te morfondre pour des rêves que t'arrives pas à réaliser? Pour une vie que tu t'es imaginée et qui t'échappe? Ta vie elle se passe maintenant. Pas demain. Alors regarde autour de toi et arrête de nous flinguer le moral."
Max lui répond "Chacun sa vie. La mienne me déprime".
"Ta gueule", je lui dis. "Allez viens, je te paye une bière".
"I got my hopes up again, oh no, not again
Feels like I only go backwards, baby"
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