Le monde est une île

Un Noir qui vous appelle bro', c'est un peu comme une dyke qui vous fait de l'oeil.  Ca fait très plaisir.  On se sent vraiment cool dans le premier cas, plutôt beau gosse dans le second.

La diversité de New York rend ce type de rencontres inattendues assez fréquent.

Des Noirs, des jaunes, des Latinos et des Hindous.  Des bikers gay et des top-models adolescentes.  Des Wall Street traders et des contestataires acharnés.  Des artistes de génie, et de brillants entrepreneurs.  Tout ça n'est que banal à New York.

C'est un peu comme si le monde entier s'y était donné rendez-vous, apportant avec lui son style de vie, sa culture et ses valeurs.

Et là est le vrai piège - considérer que cette ville est le monde.

D'un côté, c'est grisant.  On se dit que les possibilités d'une vie sont concentrées sur cette petite île qu'est Manhattan.  Que tout ce que vous pourriez espérer y est présent.  Et qu'il ne tient qu'à vous de l'obtenir.

Mais d'un autre côté, évidemment, ce n'est pas vrai.  New York n'est pas le monde.  Elle a une mentalité qui lui est propre, dont tous ses habitants sont imprégnés.  Un caractère qui lui est spécifique et qui la rend singulière.  Solide.

New York est forte et romantique.  Tendre et impitoyable.  Créative, volontaire et sans chi-chi.  C'est un terrain de jeu géant, où la taille des ambitions n'a d'égal que le désir de vivre à la puissance 10.

Ce caractère ne s'est jamais perdu, malgré la diversité des genres et le fait que la majorité des habitants n'y soit pas née.

Pourtant, beaucoup de New Yorkais natifs, ou tout simplement d'amoureux de cette ville, craignent qu'elle ne soit défigurée par l'augmentation effrénée du niveau de vie.

Ils redoutent que la ville ne perde son âme.

En une petite décennie, la valeur des biens immobiliers a augmenté de 150%.  Le prix des loyers a suivi - beaucoup de ceux qui y ont toujours vécu sont contraints de partir.

Et la ville s'embourgeoise.

Il y a 10 ans, Soho était le quartier des clubs.  On y faisait la queue dans les toilettes pour sniffer sa poudre.

C'est aujourd'hui une sorte de mall à ciel ouvert, où les filles font la queue pour entrer dans les cabines d'essayage.  Un temple du consumérisme deprimé, qui fût hier un endroit de fêtes déjantées.

Au-delà de Soho, la sécurité n'est plus vraiment un problème depuis 15 bonnes années à New York.  Les Starbucks et les boutiques de designers remplacent peu à peu les bodegas du coin.  Les cris d'enfants commencent à couvrir les mélodies des jazzmen de rue.

L'embourgeoisement, ou "gentrification", amène des gens qui n'ont aucune envie de composer avec les désagréments d'une mégapole.  Ils veulent des rues nickelles, vivre dans des tours de verre géantes, des bars qui ferment tôt et la sécurité à tout prix. 

Ils souhaitent faire de New York une sorte de suburbia géante, beaucoup moins fun que la ville dans laquelle ils sont arrivés.

Ils veulent recréer une vie de banlieue un peu chiante.  Dans une des villes les plus excitantes au monde.

Mais vous savez quoi?  Ca n'arrivera jamais.  Une très grande ville ne s'est jamais arrêtée de vibrer pour quelques poussettes.  Surtout si cette ville se trouve être New York.

Son âme a quelque chose qui rend la vie magique.

Une fois qu'un tel miracle s'est produit à l'échelle d'une ville entière, il faudrait quand même un peu plus qu'une poignée de têtes blondes pour en venir à bout.

Toute grande ville connaît des cycles.  L'âme de New York restera intacte.



"It's gonna be ecstacy, this place was meant for me 
Feels so good tonight, who cares about tomorrow 
So baby, you'd better believe
I'm back, back in the New York groove"