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17.2.14

Comment survivre au manque de nicotine


En ce moment je vis comme un moine.  Ça me prend comme ça, de temps en temps.

Pendant deux semaines je n'allume pas la télé.  Je n'utilise mon ordinateur que pour bosser. J'évite la viande aux hormones.

Aucune drogue.  Pas d'alcool non-plus.  Ni de médicaments.  C.L.E.A.N.




Et ça vaut le coup.  Pendant ces deux semaines d'ascèse régénérative je me sens beaucoup mieux.

Je compense par des choses plus saines.  Un livre avec plein de pages dedans remplace la télé et Internet.  Je ne consulte pas mon téléphone de façon compulsive.  Mon esprit se lave de tous ces parasites.

Et mon corps réclame du sport à hautes doses parce qu'il manque de drogues.  Alors je cours. Tous les jours.  Ou je vais nager.  Je perds du poids et prends du muscle.  Moins de sexe aussi, parce qu'à New York alcool = bars = sexe.

Mon compte en banque se renfloue.  Mes couilles se remplissent.  Mon corps se purifie et mon esprit s'éclaircit.  On s'emmerde un peu mais c'est tout bénef'.

Enfin.

Presque.

Le plus dur est de limiter ma consommation de nicotine.  Se passer de nicotine est une pratique masochiste que je ne conseille à personne.

Pendant ma quinzaine monacale j'essaye de tirer le moins possible sur ma cigarette électronique.  C'est-à-dire que j'attends de ne plus pouvoir me retenir d'esquinter le premier passant venu - pas trop balaise non-plus - pour tirer quelques bouffées.

C'est pas évident.  Et ça peut avoir des conséquences désastreuses.  J'en ai récemment fait l'expérience.

C'était en fin de journée.  Je rentrais du boulot et une hésitation m'a saisie juste avant d'entrer dans le métro.

Je ressentais un gros manque de nicotine.  Entre mes bureaux à Chelsea et mon appartement de l'Upper West Side il y en a pour environ 20 minutes de train.

Mais c'était la quinzaine healthy.  J'ai donc décidé de me faire souffrance.  D'attendre d'être rentré chez moi pour me remplir les poumons de liquide Made in China.  C'était une erreur.




Au début ça n'allait pas trop mal.  Fidèle à mon précepte, je lisais mon livre plutôt que de jouer au Sudoku sur mon téléphone.  Minding my own business.

Le train a commencé à se remplir au fil des stations.  Les gens ne me dérangent généralement pas mais je sentais bien que cette fois ça allait être différent.

Deux filles se sont assises en face pour se raconter des ragots médisants sur un de leurs collègues.  Elles terminaient toutes leurs phrases comme si c'étaient des questions.  Ça s'appelle le high-pitched voice.  Un exemple ici avec Miss South Carolina.  Et elles enrobaient le tout dans un vocal fry assez irritant.

Pourquoi ceux qui ont les intonations les plus fatiguantes sont-ils aussi ceux qui parlent le plus fort? Je ne sais pas.  Peut-être est-ce une question de sélection naturelle.  Allez savoir.  Mais je commençais à regretter de ne pas avoir tiré quelques lattes avant d'entrer dans le métro.

Dans dix minutes je n'aurais pourtant plus à les entendre pour le reste de mes jours.  Je me consolais ainsi.

On venait de passer Times Square et le train était maintenant bondé.

Un obèse vint s'asseoir à côté de moi.  Son bourrelet gauche, de la taille d'un beau bébé, reposait allègrement sur mon bras droit.  Je me suis retenu de lui en faire la remarque.  Le pauvre type n'y pouvait rien.  Et s'il avait dû se lever on en avait de toute façon pour une bonne demi-heure.  Faut laisser couler.  Souffle un bon coup et prends sur toi.

Cependant les deux filles continuaient à se brailler leurs histoires dans leurs intonations exaspérantes.  Mes nerfs étaient mis à rude épreuve.

Ceux qui parmi vous sont des fumeurs le savent: manque de nicotine et zen attitude ne vont pas bien ensemble.

Mes mains devenaient moites à mesure que le gros se frottait à mon bras et que les deux greluches me travaillaient le crâne.  Ma mâchoire se crispait au point de faire sauter toutes mes dents.   Mon front suait d'exaspération.

C'est alors que le train a choisi de s'arrêter d'un coup entre deux stations.  Comme ça.  Juste avant la mienne.  Cinq minutes passèrent.  Puis dix minutes.  Un quart d'heure...  Il ne redémarrait pas.  L'attente était interminable.

Les deux décérébrées continuaient leur conversation à tue-tête.  Le type ne cessait de remuer sa graisse contre moi.  Et un gamin à gauche s'était mis à jouer sur son iPhone avec le volume à fond.  J'allais exploser.

J'ai bien tenté un petit coup de méditation.  Respirer profondément.  Fermer les yeux. S'imaginer en train de jouer à poil dans les vagues de Gironde, au couché du soleil.  Mais rien n'y faisait.  Et ce putain de train qui ne bougeait pas d'un pouce!

L'envie de trancher ce bourrelet pour le vider de sa graisse commençait à prendre le dessus. Je voulais fermer le clapet de ces deux mégères et faire bouffer son iPhone à ce sale gosse.  L'air était saturé par la respiration de tous les commuters.  J'étais à bout.

Mais le métro s'est enfin remis en route.  Mon incarcération souterraine touchait à sa fin.  Ce n'était plus qu'une question de minutes avant que je puisse oublier pour toujours ce train qui a bien failli être la scène d'un quadruple meurtre.  Que je puisse respirer un grand bol d'air frais et délivrer mon cerveau agonisant par une bonne dose de nicotine.

Les portes de cette prison sur roues se sont ouvertes.  Et c'est à ce moment qu'un type a jugé bon de m'en bloquer la sortie parce qu'il était trop pressé d'y entrer.  En dépit de tout bon sens et contre tout respect de l'éthique des transports en communs.  Son air idiot m'a achevé.  Et j'ai craqué.

J'ai fixé le mec avec des yeux dont devaient jaillir des éclairs et lui ai hurlé en plein visage "LET ME OFF THE FUCKING TRAIN!!!".  C'est parti tout seul.

Le type a semblé surpris.  Et puis tout est allé très vite.  Il m'a répondu "WHAT'S YOUR FUCKING PROBLEM ASSHOLE?!!" et a tenté de m'en décocher une qui n'est vraiment pas passée loin.

La frustration de toutes les personnes qui venaient de se taper 20 minutes de subway bloqué après une journée de boulot s'est alors déversée sur le pauvre bougre.

Il s'est retrouvé plaqué à terre par deux gros mecs qui le neutralisaient en lui broyant les coudes et les genoux contre le sol.  Sûrement un peu les couilles aussi parce qu'il criait très fort.  Ça faisait mal.





Les téléphones se sont mis à filmer et deux flics sont arrivés en courant.  Comme tout bon Français la police me fait très peur vous savez.  Certaines choses ne changent pas.  J'ai déguerpi sans demander mon reste.

Je ne sais pas ce qu'il est advenu des deux colosses et de notre victime malheureuse.  Aucune mention dans la presse locale.  Ce genre d'incident doit arriver tous les jours.

Mais nous voilà prévenus.  A New York mieux vaut faire gaffe aux Frenchies en manque de nicotine et aux commuters de fin de journée.  Cette combinaison est explosive.

La nicotine aura désormais toute sa place dans mes périodes santé / zen.


Break Stuff by Limp Bizkit on Grooveshark
"No human contact
And if you interact
Your life is on contract
Your best bet is to stay away motherfucker
It's just one of those days!!"


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