Pages

31.10.16

Jouer à poil dans l'Océan


Il est un endroit en France que j'ai connu toute ma vie. J'y ai passé chaque été de mon enfance. Et j'y retourne dès que j'en ai l'occasion.



Cet endroit est le plus beau que je connaisse. La nature y est vierge et puissante. Les rouleaux de l'Atlantique s'y fracassent sur des kilomètres de plages abandonnées. Et quand la marée se retire, l'espace s'étend à l'infini. Tout le paysage se pare d'une splendeur qui hypnotise. On peut y jouer à poil dans les vagues, sans jamais y croiser personne.

Au coucher du soleil le ciel devient rouge écarlate. Il se reflète dans l'eau devenue lisse comme un miroir. Tout l'espace se charge d'une chaleur dont s'évapore le passé et l’avenir, pour laisser toute sa place à l'infini de l'instant présent.

Une fois couché, le soleil fait place à des nuits tellement claires qu'il suffit de lever les yeux pour se retrouver projeté dans le cosmos.

C'est un sentiment de grandeur dans la splendeur. Plongée dans la contemplation d’un bonheur serein.

Alors forcément je suis resté un habitué. Cet endroit m'a vu revenir chaque année, un peu changé, depuis toujours.

J'y ai barboté dans l'Océan avec des brassards bleus et blancs. C'est là que j'ai appris à nager. Puis à faire du bodyboard. J'ai failli m'y noyer au moins trois fois.

Ma grand-mère nous emmenait passer tous les après-midis à l'Océan. Après elle nous payait des crêpes au Nutella qu’on dévorait sur la jetée. Je me souviens du sel de mer et du sable qui nous collaient à la peau jusqu'au soir.

J'avais mes copains du coin. Ceux avec qui je suivais les ados qui allaient se tripoter dans les dunes. Et puis, au fur et à mesure, on est devenu ces ados qui allaient tripoter des filles dans les dunes.

Vers 18 ans j'ai commencé à y aller avec mes potes de Paris plutôt qu'avec ma famille. On y fumait des pétards sur le chemin de la plage. On se bourrait la gueule le soir dans les bars du coin.

Et puis en grandissant j'y ai emmené toutes mes copines un peu "sérieuses". Pas une avec qui je n'ai pas niqué en plein air sous le soleil. Sur la plage ou dans les dunes ou le jardin ou dans les bois. Citez-moi un seul plaisir supérieur à ça.

Cet endroit m'a offert des moments qui sont parmi les plus heureux de ma vie vous savez. Mais il m'a vu malheureux, aussi, au fil des années.

Il m'a suivi quand j'allais me réfugier dans les bois pour pleurer derrière la maison quand j'entendais, petit, mes parents se déchirer.

Il m'a vu rongé par la tristesse de grandir dans une famille déprimée. Il a assisté à mon enfance baignée dans l'angoisse noire de mes parents. Et il a observé cette angoisse, petit à petit, devenir la mienne.

Cet endroit m'a vu revenir chaque année, et chaque année il a constaté ma difficulté à avancer. Il a vu se creuser un fossé de plus en plus difficile à traverser.

Et puis il a entrepris de m'aider.

En me montrant à quoi ressemblait le bonheur. En me prouvant que le bonheur était accessible et simple. Réèl et palpable. Parce qu'il suffit d'y respirer et d'ouvrir les yeux pour se sentir profondément heureux.

Il suffit d'y exister pour se mettre à l'abri de la tristesse et des angoisses et des emmerdes. Poisons qui obscurcissent le jugement. Illusions qui prennent les allures de la réalité. Vagues souvenirs, soudain devenus lointains et sans goût au milieu de tant de beauté.

Mais surtout cet endroit m'a assuré que quels que soient mes errements, il existera toujours en ce monde une place pour moi.

Parce que s'il m'a vu revenir chaque année un peu différent, lui n'a jamais changé.

Le même soleil s'y lève chaque matin. Il y projette ses mêmes rayons entre les mêmes pins. La marée s'en va et revient deux fois par jour, depuis toujours. Les dunes y sont toujours caressées par le vent. L'oyat s'y courbe de la même façon. Comme c'est le cas en ce moment. Comme ça s'est passé ce matin. Et comme ça se passera demain matin.

Au fil des années cet endroit est devenu mon ancrage. La fondation de mon âme. Celui qui me permet d'avancer sans angoisse. De poursuivre mes aventures, en les considérant comme un bonus. Parce que je sais qu'il existera toujours un endroit sur lequel me replier. Un paradis secret, dans lequel je pourrai toujours me retrouver. Un bonheur simple et authentique sur lequel je sais pouvoir compter.

J’y retourne pour observer ma vie avec la sincérité de la distance. J'y examine mes priorités et mes projets avec l'esprit clair. J'y puise toutes mes forces.

Et quand je regarde le phare s'éloigner pour une autre année, c'est toujours avec une légère peine mêlée à l'excitation de mes prochaines aventures.

Et quand ça va pas trop parmi les tours de bétons, je ferme les yeux pour me retrouver sur le haut de ma dune. Transporté dans le rouge du soleil qui se couche sur l'océan. Et je respire un grand coup d'air iodé. Et je retrouve cette sérénité. Pour me rappeler combien le bonheur est quelque chose de simple et d'évident, qu'on a trop souvent la faiblesse de se compliquer.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire