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14.1.15

Charlie


Il y a déjà ce que l'on ressent.

L'horreur.

La colère de voir trois types imposer leurs vues en faisant couler le sang.

Le choc aussi, en regardant le droit le plus élémentaire d'un peuple, celui à la sécurité, se faire violer en direct.

Et puis il y a la frustration devant des médias trop lâches pour montrer ce dont ils parlent.  Là où d'autres savaient qu'ils pouvaient mourir.

Et enfin il y a ce que l'on pense.  La volonté de comprendre.

Alors chacun y va de son avis sur ce qui s'est passé chez Charlie Hebdo et à Porte de Vincennes la semaine dernière.  Voici le mien.  Il vaut ce qu'il vaut.

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Ces massacres ne sont déjà pas le fait de quelques illuminés marginalisés.  D'une poignée de fanatiques à interner.

C'est pas ça.  On peut continuer à se mentir autant qu'on veut mais ce n'est pas ça.

Ces barbares représentent quelque chose qui va au-delà de leurs simples personnes.  Ils sont le symptôme le plus extrême d'un problème diffus, qui va au-delà même de leur fanatisme.

Et ce problème c'est l'évidence qu'il est interdit de prononcer en France depuis 60 ans.

C'est ce grondement grandissant qu'on se force de ne pas entendre en espérant qu'il finisse par disparaître.

C'est ce silence assourdissant qui fait le lit de l'extrême droite, et qui nourrit le fanatisme religieux.

Les actes terroristes qui ont fait saigner la République est directement lié à un problème beaucoup plus large.  Et ce problème, disons-le très clairement, c'est celui de l'échec d'intégration des Musulmans de France.

La plupart des Musulmans de France et beaucoup de ceux que je connaisse condamnent ce qu'il s'est passé.  Du plus profond de leur coeur.  Ca ne se discute même pas alors disons-le une fois pour toutes:

LA MAJORITÉ DES MUSULMANS DE FRANCE EST HORRIFIÉE PAR CE QU'IL S'EST PASSÉ.

Ou du moins pas très à l'aise.

Et c'est d'ailleurs le brillo de la dernière couverture de Charlie Hebdo.  Mahomet représente l'ensemble des Musulmans de France et pleure la mort de ses caricaturistes.  "C'était pas la peine d'en arriver là", semble-t-il dire.  "On te pardonne Charlie, tu méritais pas ça".

Et Charlie pardonne aussi à l'ensemble des Musulmans de France, parce qu'il sait leur embarras.  On se pardonne des deux côtés.  Tout est pardonné.

Et pourtant l'objet de l'offense des terroristes, la représentation du prophète, est en pleine une.  Façon de dire "On continuera à faire ce qu'on veut, que ça plaise ou non".

Chapeau.

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Ceci étant dit, l'islamisme dont nous avons été victimes est directement lié au problème de l'intégration des Musulmans de France.  C'est une de mes très rares certitudes.

Ces terroristes, s'ils sont bien sûr en rupture avec la plupart des Musulmans de France, sont aussi le prolongement le plus violent du problème que pose leur manque d'intégration.

Et ce problème d'intégration saute aux yeux de chacun.  Mais personne n'en parle depuis 60 ans.

Pourquoi?  Déjà parce que c'est dangereux.

On courrait le risque de stigmatiser les Musulmans de France.

Et stigmatiser les Musulmans de France, c'est faire le jeu des terroristes.  Parce que tout ce qu'espèrent les demeurés fanatiques d'Allah, c'est que leurs "frères" n'en puissent plus de notre pays.  Qu'ils s'y sentent rejetés.  Et qu'ils se réfugient dans leurs bras armés.

Mais si personne n'en parle c'est aussi parce que le problème est compliqué.  Pourquoi les Musulmans de France sont-ils si peu intégrés?

Pourquoi sont-ils sous-représentés dans la classe moyenne, absents des élites et largement majoritaires dans les classes populaires?  A qui la faute?

Perso j'en sais rien.  Et personne n'en sait vraiment rien.  C'est très compliqué.  Et c'est bien l'ennui.

Il y a le "modèle d'assimilation républicain" bien sûr.  En France on n'arrive jamais à se mettre d'accord sur rien alors on préfère gommer les différences.  Histoire de ne pas ajouter au problème.

On exige que les nouveaux venus s'assimilent.  Qu'Ahmed arrive en France en appellant ses fils François et Jérémie et qu'il laisse sa culture, et surtout sa religion, à la frontière.

Evidemment c'est impossible.  Mais c'est ce qu'exige la République.  On n'est pas dans un système de communautés.  On est dans un modèle d'assimilation.  Un modèle qui échoue depuis 60 ans sans jamais avoir été remis en question.

Le problème vient aussi de la nature de cette immigration.  Et de ses circonstances.  Et de tant d'autres choses encore.  C'est très compliqué.  Alors personne n'en parle.

Mais on s'en fout de savoir qui est fautif.  Tout ce qui compte, c'est de confronter le problème.  Mais ça fait plus d'une moitié de siècle qu'on préfère se bercer d'illusions lâches et de l'idéal perdu d'une "République une et indivisible" et d'autres rêves d'un autre temps.

Et on en arrive aujourd'hui à un islamisme rampant, à un fanatisme religieux qui est le prolongement le plus extrême, la continuité la plus violente, du problème beaucoup plus large de l'échec de l'intégration des Musulmans de France.

Recette du désastre à l'échelle d'une nation:

Vous prenez des jeunes par milliers.  Par centaines de milliers.  Des jeunes qui rêvent de la vie qu'on leur montre à la télé.  Mais qui très vite se rendent comptent qu'elle n'est pas pour eux.

Des jeunes qui passent le balais dans des restaurants.  Qui livrent des pizzas sur des scooters.  Qui fument des pétards toute la journée dans leurs cités.

Sans le moindre espoir.  Sans la moindre perspective.  Sans le moindre sentiment d'appartenance à un pays dont ils sont rejetés.

Mais avec une religion en commun..

Et toujours des rêves de grandeur en tête.  Avec l'envie de donner à leur vie une dimension qu'on leur refuse.  Une dimension qui dépasse celle de passer le balai chez McDo, ou de faire l'aller-retour cité-prison.

Alors on vient parfois les chercher pour leur dire qu'ils sont importants.  Que leurs vies valent mieux que celles qu'on leur a réservées.  Qu'ils sont forts.  Qu'ils peuvent changer le monde.  Qu'ils peuvent s'associer à quelque chose qui les dépasse.

Les plus désespérés se laissent convaincre.  Mais surtout, les plus déracinés.  Ceux qui se sentent coincés dans la France qui les a vu naître.  Humiliés.  Sans identité.  Sans structure.  Et certains basculent.

Certains laissent l'islam radical devenir l'expression de leur frustration.  Et le nouveau cadre de leurs rêves.

Certains laissent l'islam radical devenir le trait d'union entre le désespoir et la violence.  Entre la médiocrité et l'ambition.  Entre le déracinement et l'acceptation.

Certains se retrouvent dans des écoles maternelles, à courir après des petites filles de quatre ans pour leur coller des balles dans la tête.

Certains massacrent au fusil d'assaut des gens qui ont dessiné leur prophète.

Certains assassinent des innocents sans autre but que d'instiller la terreur.  Allez vous faire foutre.  La France vous encule.  Vous n'imposerez jamais vos vues moyenâgeuses à une nation millénaire.  A un peuple qui s'est construit par la raison, avec pour but la liberté.

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Mais pourtant le risque existe.

Le risque existe quand on voit que l'islamisme devient une sorte de contre-culture dans les lycées.

Il est par exemple terrifiant que beaucoup d'adolescents, musulmans ou non, reprochent à Charlie Hebdo d'avoir publié ces caricatures.  Et de vous expliquer qu'on n'offense pas "le Coran de La Mecque" impunément.  C'est sacré.

"Je suis pas Charlie".  Alors aujourd'hui c'est ça, l'esprit de contestation adolescente en France?

Les seventies avaient les hippies avec leurs pétards et des fleurs dans les cheveux.  Les eighties c'était sniffer de la coke en se faisant baiser dans les chiottes.

Tout ça pour en arriver, aujourd'hui en France, à Jean-Christophe qui vous explique entre deux clopes, dans la cour de son lycée de Massy-Palaiseau, que bien sûr c'est un peu exagéré de massacrer les gens comme ça mais qu'au fond ils l'ont cherché.

On dirait que s'affirmer contre la société en attendant de se voir des poils pousser aux couilles se fait de plus en plus par la promotion de la Charia et la défense du "Coran de La Mecque".  C'est pas très bon signe.

Mais au final peu importe.

Ce qui compte vraiment, c'est de savoir ce que l'on fait maintenant.  On a encore quelques options.

On peut continuer sur la lancée des soixante dernières années.  Continuer à ignorer des problèmes profondément ancrés dans la société française.  Ne parler de rien d'autre que de "vivre ensemble".  Que de ce vieux rêve de "République une et indivisible".

Et attendre tranquillement que ça explose vraiment.

Ou bien on peut enfin jouer carte sur table.  Enoncer les problèmes pour la première fois pour commencer à les résoudre.  Mais l'important c'est de commencer maintenant parce que s'il n'est pas encore trop tard on arrive au bout.

Juste un exemple idiot, de court-terme.  Mettre en place un vrai système de discimination positive.  Un système où les Arabes soient décemment représentés dans les élites et les classes moyennes.  Ce serait un début.

Pas un coup à la Rachid Arhab hein, où un type du service public semble s'être dit "Bon les gars, il nous faudrait quand même un Arabe un peu sérieux à l'antenne là, pas seulement un rigolo.  Et vous savez quoi?  Pour être sûr que personne le loupe on va l'appeler Rachid.  Arabe".

Mais dans un pays où l'idée d'assimilation à la République interdit le fait même de recenser les différentes populations, c'est pas gagné.  Juste pour vous dire que même ce modeste début de solution, cette pichenette dans le bon sens, représente déjà un challenge considérable.

Et ça, ce serait après avoir eu un débat qu'on refuse ne serait-ce que d'évoquer depuis plus d'un demi siècle.  Alors on n'y est pas encore.

Je ne suis pas optimiste.  Mais dans un pays qui ne réussit qu'au pied du mur il est, peut-être, encore permis d'espérer.  Encore un peu.  Pas pour longtemps.

Et pour ceux qui ont l'esprit ouvert à l'idée de vérité et à l'expression du bon sens:

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